Appel à papiersHistorical Materialism Paris 2025 : Conjurer la catastrophe
Sur le plan intellectuel, le marxisme a indéniablement retrouvé une audience au sein des franges critiques du champ intellectuel et des mouvements d’émancipation, en se liant à leurs secteurs les plus dynamiques et ce, malgré l’absence d’organisations communistes de masse. Nous sommes ainsi sortis de la longue période de déclin du marxisme issue de l’offensive proprement contre-révolutionnaire qui a si fortement marqué le champ intellectuel en France dans les années 1980 et 1990, au point que Perry Anderson pouvait alors parler de Paris comme de la « capitale de la réaction intellectuelle en Europe » et que Bourdieu pouvait parler de cette période comme celle « où le dernier must de la mode [était] d’être revenu de tout, et d’abord du marxisme ». Nous invitons les intervenant·es à proposer des panels ou des abstracts (300 mots maximum), en français ou en anglais, avant le 15 février 2025, portant notamment sur les axes suivants (en indiquant 1 ou plusieurs axes dans lesquels s’inscrit leur proposition). Les propositions sont à déposer sur ce site. Pour nous contacter : paris@historicalmaterialism.org. Axe théorie marxisteLes post-marxismes, qui tendent à réduire le marxisme à une tradition dont on pourrait se contenter de tirer arbitrairement quelques éléments en faisant abstraction des autres, imposent de s’interroger sur ses spécificités. D’une part, le marxisme constitue un cadre théorique général permettant d’analyser la réalité humaine dans toutes ses dimensions, un projet de science humaine totale articulant l’étude de toutes les sphères sociales (économie, politique, culture et idéologie, etc.) et même naturelles (métabolismes socio-écologiques). Mais comment comprendre une telle articulation, et ne risque-t-on pas d’écraser la réalité sociale sur une seule de ses dimensions (réductionnisme, économicisme) ? D’autre part, le marxisme constitue une critique de la réalité sociale établie visant à la renverser, et est en ce sens indissociable d’une lutte politique. Comment comprendre l’unité de la théorie et de la pratique qui est censé le caractériser ? Ne risque-t-elle pas de nuire à sa rigueur intellectuelle ? Et quelles modifications du cadre théorique doivent être acceptés pour suivre les changements historiques (problème de l’historicisme) ? Ce panel s’interrogera donc sur les spécificités du marxisme par rapport aux autres théories sociales, ainsi qu’aux éventuels problèmes qu’elles posent.
Axe ClasseDe Marx aux recherches les plus contemporaines, en passant par les théoriciens du début du 20e siècle et la relance du débat dans les années 1960-70, le marxisme a toujours accordé une importance déterminante à la division en classes sociales et à leurs antagonismes, conçus comme un élément central pour comprendre la dynamique des sociétés capitalistes. Cet axe propose de croiser les différentes perspectives théoriques et politiques qui découlent de ces principes : Axe féminismeDepuis le 20ᵉ siècle, le féminisme marxiste analyse l’exploitation des femmes et des minorités de genre dans le système capitaliste patriarcal et racial. Il enrichit la théorie des inégalités sociales tout en soutenant des pratiques militantes visant à renverser l’hétéropatriarcat, avec une approche anti-essentialiste des dominations et une défense de la convergence des luttes. Aujourd’hui, une nouvelle vague féministe remporte des victoires mondiales, mais elle affronte un backlash : menaces sur les droits des femmes et des minorités, récupération par le féminisme néolibéral, et montée des doctrines antiféministes d’extrême-droite. Cet axe souhaite offrir un espace de discussion sur les thématiques suivantes :
Nous encourageons les communications empiriques portant sur des études de cas historiques ou contemporains, sur des mobilisations, sur des productions artistiques... Les retours d'expériences d'un point de vue militant sont tout autant les bienvenus que les propositions scientifiques.
Axe ÉconomieLa profonde crise économique de 2008 a révélé les contradictions du néolibéralisme, sans qu’apparaisse une nouvelle dynamique capitaliste un tant soit peu stable. Plutôt que de subir un coup d’arrêt définitif, la financiarisation s’est transformée et les entreprises sont de plus en plus sous perfusion des autorités publiques - au point de ressusciter l’idée de capitalisme d’Etat. Alors que l’inflation est revenue dans les pays du centre, les difficultés sociales, économiques et écologiques ont continué à s’aggraver dans la périphérie. Les inégalités existantes ont été cimentées et même élargies par la monopolisation intellectuelle d'une part encore plus importante des connaissances produites par la société, des vaccins anti-Covid aux technologies numériques. Comme si tout cela ne suffisait pas, l’ère de l’IA dans laquelle nous vivons actuellement est aussi une ère de guerre et de stagnation, sur fond de tendances rentières. Voici une liste non exhaustive de questions dont cet axe pourra permettre de débattre : - Comment comprendre les contradictions économiques liées à la crise écologique : nouvelles stratégies d’accumulation liées à la « transition écologiques », renouveau de la planification, reconfiguration de la polarisation centre-périphérie… ?
Axe ImpérialismeDepuis la fin de la Guerre Froide, les tensions inter-étatiques et les conflits armés entre Etats et groupes non-étatiques se sont multipliés à travers le monde. En parallèle, la course à l’armement atteint chaque année un nouveau record de dépenses militaires, lesquelles augmentent à un rythme plus soutenu que le PIB mondial. Loin des illusions libérales sur la paix perpétuelle assurée par le marché mondial, la pensée marxiste se singularise par la mise en évidence du lien étroit entre le développement du capitalisme et les tensions géopolitiques. La situation actuelle appelle donc à un retour en force des raisonnements fondés sur les théories de l’impérialisme. Ce stream vise à rassembler des réflexions théoriques et analyses concrètes inspirées par les conceptions marxistes de l’impérialisme. Voici une liste non exhaustive de questions à débattre dans cet axe :
Axe EtatDepuis les interventions massives des Etats après la crise de 2008 jusqu’au réarmement en cours de toutes les principales puissances géopolitiques en passant par le management de la pandémie, les recherches critiques sur l’Etat, en particulier celles d’inspiration marxiste, ont connu un regain d'intérêt, pour des raisons autant théoriques que pratiques. Dans cet axe, nous proposons de les approfondir notamment selon les trois problématiques suivantes : Axe Travail et exploitationDepuis plusieurs années, le travail est de nouveau au cœur de disputes. Sans être exhaustifs, celles-ci portent sur le « sens du travail » après le début de la crise sanitaire du Covid-19 et de la crise climatique ; sur les effets des nouvelles technologies (digitalisation, industrie 4.0, intelligence artificielle) ; sur les transformations des frontières du salariat – retour à des formes « archaïques » de mise au travail (comme le « tâcheronnat »), émergence d’un « capitalisme de plateforme » – dans le contexte d’une tendance à l’hybridation entre formes de précarité et de stabilité salariale.
Axe migrationsLe constat n'est pas nouveau : les déplacements par-delà les frontières de travailleuses et de travailleurs sont à la fois le produit des déséquilibres globaux générés par la domination impérialiste et le développement du capitalisme à l'échelle mondiale, et une nécessité pour des secteurs entiers des économies capitalistes à l'échelle locale, nationale ou régionale. La question des migrations est ainsi au cœur des tensions économiques et politiques des sociétés capitalistes, mais elle prend un caractère d'autant plus urgent qu'elle constitue l'un des carburants de la montée des extrêmes-droites, et que sa gestion par les gouvernements des États capitalistes génère chaque année des milliers de morts. De la frontière sud des États-Unis aux frontières extérieures de l'Europe, en passant par le rétablissement récent des contrôles aux frontières en Allemagne, les gouvernements impérialistes cherchent à limiter et contrôler la circulation de la force de travail provenant de régions du monde marquées par des guerres, des conflits armées ou des situations de pauvreté croissante. Ces politiques ont une double conséquence : d'une part sur la composition des fractions immigrées des classes ouvrières où l'irrégularité du séjour se combine à diverses formes d'exploitation, d'autre part sur les rapports entre États impérialistes et entre ces derniers et les États du Sud, qui se livrent à une surenchère mortifère. L'enjeu migratoire est également pressant du point de vue des pays du Sud, qui ne sont pas uniquement des pays « de départ » mais qui sont aussi confrontés à des migrations internes et à des arrivées parfois massives depuis des pays proches (on pense par exemple aux Syriens en Turquie, aux Afghans en Iran...). Cet axe vise ainsi à rassembler des contributions qui interrogent le rôle de l'immigration dans les sociétés capitalistes d'aujourd'hui et d'hier, du point de vue des pays d'arrivée et de départ, au Nord comme au Sud, à partir des axes suivants (non limitatifs) : Axe Race / RacialisationL'analyse du racisme est percutée depuis plusieurs années par plusieurs discussions importantes : d'une part l'appel à prendre en considérer les formes croisées et combinées des rapports de classe, de genre et de race, d'autre part les débats historiques et sociologiques autour des liens entre naissance et fonctionnement des sociétés capitalistes et racisme. L'ancienneté de ces débats dans la pensée marxiste est attestée par les études pionnières d'historiens marxistes états-uniens sur la construction de la blanchité ainsi que par l'analyse du capitalisme racial en Afrique du Sud par des militants et intellectuels marxistes noirs. L'essor des analyses utilisant la catégorie de « race » est aussi liée à diverses formes de mobilisation qui ont percuté les organisations syndicales et politiques ouvrières en posant le problème de la prise en compte des dimensions raciales de l'exploitation et des dominations, et de collectifs mobilisés autour de ces questions. Une question, polémique, demeure : en quoi la catégorie de « race » est-elle pertinente pour l'analyse marxiste des rapports de domination et d'exploitation ? Afin d'aborder cette question, cet axe accueille des contributions autour des thématiques suivantes (non limitatives) : Axe Écologie politiqueRien ne semble aujourd’hui pouvoir enrayer l’emballement du climat et les perturbations de la biosphère. Le contexte politique mondial caractérisé par une montée en puissance des populismes réactionnaires apparaît comme un obstacle de plus à une révolution écologiste qui serait seule capable d’endiguer la logique productiviste du capital. Dans ce contexte, des mouvements écologistes radicaux ont émergé partout sur la planète, rompant peu à peu avec le dogme de la non-violence et les illusions passées sur le rôle des États bourgeois dans une hypothétique transition. D’un point de vue théorique, cette radicalisation s’est accompagnée d’un renouveau stratégique du marxisme en écologie politique. De la planification à la décroissance, du sabotage aux nouvelles théories écologiques du prolétariat, de la reproduction sociale à la subsistance, l’écologie politique marxiste se présente comme l’un des champs les plus dynamiques de la pensée contemporaine. Il ne laisse pourtant pas de soulever des débats internes sur le rôle des solutions techniques et le productivisme, sur la centralité de la classe ou la dimension impérialiste et raciste de l’écologie du capital. Cet axe vise à rassembler des études concrètes, des réflexions théoriques et des approches stratégiques inspirées par les visions marxistes de l’écologie politique, contribuant ainsi à élucider la signification des controverses internes et leur rôle pour une stratégie révolutionnaire en écologie. Voici une liste non exhaustive de questions qui pourraient être adressées par les communications :
Axe Culture et arts Souvent invisibilisée, la question culturelle a pourtant été l'objet de vifs débats au sein de la tradition marxiste, notamment et par exemple, autour du réalisme, de la popularité et des avant-gardes, de son articulation à l’idéologie et au marché. Elle s'appuie pour cela, plus ou moins, sur une multitude d'œuvres et d'essais qui témoignent, fermes ou tâtonnants, de la richesse de cette histoire (opprimée) des pratiques culturelles et artistiques des opprimé.e.s ou de l'appropriation dans une optique résistante ou révolutionnaire de ce qui ne leur était pas destiné. A ce titre, une des questions majeures des temps présents tient probablement à la forme que doit prendre cet héritage : son bilan, ses acquis, ses obsolescences, ses impensés ou ses prolongements possibles. Cela suppose de le discuter, de le faire réémerger dans la vitalité, la pluralité et l'historicité des arguments et des pratiques. Mais ces débats doivent se mener à l'aune des transformations du monde contemporain. Ainsi de manière non-exhaustive : l'évolution des industries culturelles et du marché de l'art, le statut de l'artiste, l'invention et la diffusion de nouvelles formes artistiques, les pratiques culturelles de masse, les innovations technologiques, les offensives et victoires idéologiques de la domination autant que les mouvements qui leur résistent (féminisme, anti-impérialisme, ...). De même, ils doivent prendre acte des œuvres qui inventent et redisposent autrement la question sensible et, plus largement, des contradictions de la pratique de l'art et de la culture dans une conjoncture néolibérale : réception, expression, socialisation. Plusieurs questions se posent donc. Elles nécessitent une attention aux singularités spatiales et historiques ainsi qu'à la diversité des formes, des supports et des disciplines. Elles ont pour elles la profondeur d'un vaste ensemble de débats et d'expériences – leur analyse et les rapports du marxisme à l'art et la culture est déjà, en soi, un objet d'étude. - Quelle part joue et prend la culture dans les luttes et les absences de lutte, dans la reproduction de la domination, dans la bataille pour l'hégémonie ? Quels liens peut-on analyser entre l'art et l'idéologie, l'art et le marché, entre l'art et l'émancipation et, plus largement, entre l'art et la politique ? - Quelles œuvres sont faites pour quels publics ? Quelles œuvres sont issues de quels publics ? Comment analyser en marxiste les pratiques de l'art et de la culture, les rapports de l'art à la culture et inversement ? - Quelles sont ou doivent être les fonctions sociales (historiques et contemporaines) de l’artiste ? Comment envisager la création, l'œuvre, les productions, le travail de l'art ? - Comment le marxisme renouvelle-t-il l’histoire des arts (notamment la question des valeurs et des hiérarchies, des discordances temporelles) ? Par qui doit-elle être faite, et comment ? - Que peut être une critique d'art contemporaine matérialiste, non-dogmatique, nourrie des apports contradictoires du marxisme ? - Quels outils d'analyse développer pour les productions culturelles ? Quelle conception marxiste peut-on développer de la structuration actuelle du monde artistique, de l'évolution des politiques culturelles, des formes d'institution, de leur contestation et de leurs marges ? - Quelle place faut-il accorder à l'art, la création et la culture dans l’élaboration d’une perspective stratégique ?
Axe Géographie critique Cet axe a pour objectif d’interroger les dynamiques spatiales contemporaines de la production de l’espace capitaliste et de la lutte des classes. S’inscrivant dans le cadre de la géographie critique, du matérialisme historico-géographique ou encore de la partition proposée par Henri Lefebvre, cet axe proposer d’analyser les nouvelles formes d’appropriation et d’accumulation du capitalisme actuel.
La production de l’espace, la circulation des marchandises et de la force de travail et les processus d’urbanisation en cours dans le monde sont, de ce point de vue, à interroger sous l’angle des luttes qui peuvent en interrompre où inverser la dynamique, révéler ses contradictions internes et ouvrir des terrains de subjectivation politique. HM Paris 2025 intervient après des vagues de grèves et mobilisations qui ont fait des territoires et des réseaux productifs, de l’écologie et des régimes de propriété un terrain fondamental de développement de la lutte de classe.
Pour cet axe, nous sommes particulièrement intéressés par des contributions, y compris à partir d’études de cas, sur les sujets suivants :
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